LE SAVETIER
Air : Vive le vin, l'amour et le tabac.
Ah ! le bon métier que j’exerce !
Chez moi l’ouvrage pleut à verse
Et j’y tiens seul ;
De l’aube au soir, tout d’une haleine,
Dans le cuir j’enfonce l’alêne
Et le ligneul.
Vieux savetier,
Chante et frappe en mesure ;
De ton quartier
Ravaude la chaussure ;
El que l’on dise, à ton bruyant refrain :
Voilà (bis) notre bonhomme en train.
Je n’ai contre froid, pluie et grêle
Qu’une planche moussue et frêle,
Qu’un toit de bois.
Mais le marteau, mais la bouteille
Chauffant bras et cœur à merveille,
Je frappe et bois !
J’ai des métiers le plus commode.
C’est le seul qu’à son char la mode
Ne peut lier :
Pourquoi la suivre en ses ornières,
Puisqu’on ne peut de deux manières
Coudre un soulier ?
Quels honneurs mon travail mérite !
Pour quelques sous, du froid j’abrite
Tout rose orteil
Qui s’en vient, à mon grand scandale,
Rire, par un trou de sandale,
A mon soleil.
On peut dire, sans hyperbole,
Qu’avec son tire-pied, sa colle
Et ses deux mains,
Le racommodeur de savates
Mieux que les plus grands diplomates
Sert les humains.
Le savetier de La Fontaine,
S’effrayant de sa riche aubaine,
Ne dormit plus.
Moi, pour vivre en paix, au contraire,
J’envie à mon naïf confrère
Ses beaux écus.
Lorsqu’un fou, vers l’Eden qu’il rêve,
Nous dit : « Marche, marche sans trêve,
Peuple oppressé ! »
Je réponds par cet axiome .
Pour bien marcher, il faut que l’homme
Soit bien chaussé.
Vieux savetier,
Chante et frappe en mesure ;
De ton quartier
Ravaude la chaussure,
Et que l’on dise, à ton bruyant refrain :
Voilà (bis) notre bonhomme en train.
LE CORDONNIER
Air : La bonne aventure, à gué
Ma foi ! contre saint Crépin
Tout haut je grommelle.
De laisser ses fils sans pain
Le patron se mêle.
Vainement à nos Solons
De nos maux nous appelions.
Battons la semelle,
Allons !
Battons la semelle.
Notre salaire est réduit
D’une façon telle
Qu’au char noir qu’elle conduit
La faim nous attelle ;
Jusqu'à minuit nous veillons
Pour du pain et des haillons.
Battons la semelle,
Allons !
Battons la semelle.
Pourtant, au bien-être humain
Ma main fraternelle
Autant que toute autre main
Est essentielle.
Sans moi que de beaux pieds blonds
Celés par les aquilons !...
Battons la semelle,
Allons ! '
Battons la semelle.
Les femmes, brillant essaim,
Doivent à mon zèle
Le doux brodequin qui ceint
Leurs pieds de gazelle.
Je fais à ces papillons
Des ailes pour les salons.
Battons la semelle,
Allons !
Battons la semelle.
Aux laboureurs, aux rouliers
Qu’à chausser j’excelle,
Je couds d’aussi forts souliers
Qu’une citadelle.
Et je ferre leurs talons
Comme ceux des étalons.
Battons la semelle,
Allons !
Battons la semelle.
A la guinguette jadis,
Sous une tonnelle,
Nous fêtions de nos lundis
Le retour fidèle.
Plus de ces gais réveillons !
Dans mon cachot de moellons,
Battons la semelle,
Allons !
Battons la semelle.
Mes fils, sur un lit usé
Couchés pêle-mêle,
De leur mère ont épuisé
La maigre mamelle.
On mange à ces oisillons
Leur part du grain des sillons.
Battons la semelle,
Allons,
Battons la semelle.
Aussi quand le peuple, à flots
Que la faim harcèle,
Lassé de ses vains sanglots,
S’arme et s’amoncèle;
Quand grondent les noirs tromblons,
Ce n’est pas nous qui tremblons !
Battons la semelle,
Allons !
Battons la semelle.
Espérons que le Seigneur,
D’où tout bien ruisselle,
Fera pour tous du bonheur
Luire une étincelle.
Oui, de l’avenir, parlons
Et vaillamment travaillons.
Battons la semelle,
Allons !
Battons la semelle.
L’avenir !... à deux gen
Le pauvre l’appelle.
Oh ! qu’il abrège pour nous
L’attente cruelle !
Pour trouver les jours moins longs,
Chantons, aimons, consolons.
Battons la semelle,
Allons !
Battons la semelle.
LE FACTEUR DE LA POSTE
Air : Eh ! le cœur à la danse.
Du sort la loi profonde
A voulu qu’un pauvre facteur,
Du grand drame du monde
Fût le premier acteur.
Aux bureaux dont je suis l’agent
Impassible et fidèle,
J’arrive d’un pas diligent
Dès qu'un courrier détèle.
Et joie ou pleurs, à la fois,
Pleuvent pour tous de mes doigts.
Quand je cours chargé de papiers
Que le service apporte,
Grisettes, artistes, banquiers,
M’attendent sur leur porte.
Et plus d’un œil plein d'émoi
Me dit : « N’est-il rien pour moi ? »
La mère, trêve au deuil amer
Que porte ta tendresse.
En gros pli, timbré d'outre-mer,
Arrive à ton adresse.
Le fils qu’attend ton amour
T’annonce enfin son retour.
Mademoiselle,... ce n’est rien :
La lettre est affranchie.
Vous rougissez ?... ce beau vaurien
Vous aura donc fléchie ?
Ce poulet qui vous émeut,
C’est un rendez-vous qu’on veut.
Pauvre femme, pauvres marmots,
Vous dont le cœur espère
Que Dieu va, touché de vos maux,
Vous rendre votre père ...
Je n’apporte à votre espoir
Qu’une lettre au cachet noir !
C'est pour toi, jeune étudiant :
Cette lettre est bien lourde.
Ta mère, à ton cri suppliant,
N'aura pas été sourde.
Tiens, voilà de quoi payer
Tes amours et ton loyer.
Margot, de l’armée on t’écrit.
Tiens, voici qui te touche :
Style, orthographe de conscrit
Et papier de cartouche.
Est-ce encore un amoureux ?..
En as-tu fait des heureux !
La cour, Monsieur, a fort goûté
Votre flatteur poème ;
Aussi sa libéralité
Pour vous est-elle extrême.
On daigne à vos vers charmants
Voler... ces remercîments.
Banquier, le retard des journaux
Aujourd’hui te défrise :
Les chemins de fer, les canaux,
Craindraient-ils une crise ?...
Cours vite à la Bourse, Hébreu,
Tirer tes marrons du feu.
Ainsi de l’aube jusqu’au soir,
Chargé de paperasse,
J'accomplis, sans jamais m’asseoir,
Un métier qui harasse.
Aussi l’Empereur, ma foi !
Dort moins tranquille que moi.
J'offre à tous des calendriers
A la fin de l’année ;
Et pour me munir de souliers
L’étrenne m’est donnée.
Mon métier de juif-errant
De quoi vivre à peine rend.
Je cours par la pluie et le vent,
Par les soleils de flammes,
Et je suis un lien vivant
Entre toutes les âmes.
L’écheveau du cœur humain
Se dévide dans ma main.
Du sort la loi profonde
A voulu qu’un pauvre facteur,
Du grand drame du monde
Fût le premier acteur.
LE CANTONNIER
AIR : Voltigez, hirondelles (F. DAVID)
Le cantonnier cailloute
Les chemins ravagés
Par l’hiver qu’on redoute,
Puis il vous crie : « En route !
Voyagez. »
Les chemins, dans l’espace,
Par lui sont allongés.
Au flot humain qui passe
Il chante de sa place :
« Voyagez.
« Fuyez la mer qui gronde,
« Ivre de naufragés.
« Sur la terre féconde,
« Passez, heureux du monde ;
« Voyagez.
« Des chercheurs d’aventures
« Les chemins sont purgés.
« Aujourd’hui les voitures
« Sont rapides et sûres :
« Voyagez.
« Soldats qui, las des guerres,
« Obtenez des congés,
« Pour revoir vos chaumières,
« Pour embrasser vos mères,
« Voyagez.
« Vous qui, peintre ou poète,
« Dans l’idéal, plongez
« Votre vie inquiète
« Et rêvez sa conquête :
« Voyagez.
« Pour connaître des hommes
« Les mœurs, les préjugés,
« Visitez les royaumes,
« Les palais et les chaumes.
« Voyagez.
« Commis, savant, artiste,
« Riches d’ennuis chargés,
« Vous êtes sur la piste
« Du bonheur... s’il existe...
« Voyagez ! »
LE BOUCHER
Sur L’air du Tra deri-dera.
Puisqu’un garçon boucher parmi vous, mes amis,
En qualité de frère a l’honneur d’ètre admis,
Souffrez qu’il vous imite et veuillez, s’il vous plaît,
Sur l’état qu’il professe écouter son couplet.
Sur l'air du tra la la la, etc.
D’abord, bien que ses mains se rougissent de sang,
Autant qu’aucun de vous il se croit innocent.
Il n’est pas de métier qui se passe du sien,
Or nul de vous, messieurs, n’est pythagoricien.
Dans mon beau magasin éclatant de vernis,
Pendent des râteliers qu’avec soin je garnis :
Et tout ce qu’à ses murs je range en bataillon,
Du pays de Cocagne offre un échantillon.
Chez moi jambons, biftecks, côtelettes, filets,
Feraient pâmer d’extase un gastronome anglais.
La pratique éblouie, en peine de choisir,
N’a pas même le temps d’exprimer un désir.
Les troupeaux ont, ma foi ! beau pousser des hélas,
Il faut, pour vous nourrir, jouer du coutelas :
Plus d’un qui, sans horreur, ne pourrait voir ce fer,
Mange la viande avec un appétit d’enfer.
Mes braves travailleurs, vous trouvez que la chair
Pour vous qui gagnez peu se vend encor trop cher :
Sachez qu’à la frontière, à grands renforts d’impôts,
La douane aux doigts crochus arrête les troupeaux.
Sans le douanier, dit-on, le bétail étranger
Sur nos marchés déserts pleuvrait à regorger.
Tâchons donc d’abolir cet impôt odieux,
Moi, pour tripler ma vente, et vous pour manger mieux.
L’ACCOUCHEUSE
- Vite, vite, la sage-femme,
Arrivez à notre secours
Et venez délivrer madame !
- « Je me lève, j’y vais, j’y cours.
Le métier est dur, tout de même,
Quand la besogne donne ainsi.
Cette nuit, c'est la quatrième :
En route, en route ! me voici ! "
Vive l’amour qui féconde.!
Epoux, jamais n’oubliez
Que Jésus a dit au monde :
Croissez et multipliez "
- « N’est-ce pas une fausse alerte ?
Le cas presse-t-il en effet ?
Jette-t-on les.hauts cris? » — Oui, certe :
L’enfant peut-être est déjà fait.
Jugez si l’on doit vous attendre.
— « Eh bien! tant mieux : en cas pareil
Je me retire et viens reprendre
Fort tranquillement mon sommeil. »
— « Bonsoir à toute l’assemblée ! »
— Ah ! madame, voyez combien
La mére est souffrante et troublée ?
— « Oui, mais l’enfant arrive à bien.
Qu’elle se torde ou qu’elle pleure,
La pauvre femme cependant
N’accouchera que dans une heure. »
— Bon Dieu ! que faire en attendant ?
— Ah ! j’ai vu des souffrances pires.
J’ai vu des maris consternés
Qui pleuraient leurs femmes, martyres
Des couches de leurs premiers nés.
J’ai vu de pauvres jeunes filles
Qui, victimes d’un suborneur
Et maudites de leurs familles,
Accouchaient de leur déshonneur.
— « Que de fois, de l’hymen, les cierges
A l’église sont allumés
Pour des beautés que l’on croit vierges
Et que l’on prend les yeux fermés ?
L’époux, ignorant et crédule,
Sur qu’on l’adore sans retour,
Avale gaimenl la pilule
Que dore la dot ou l’amour ! »
— « Mais s’il est de mon ministère
De tout savoir, je dois aussi,
Je dois surtout savoir me taire :
Et je bavarde trop ici.
Voyons, parrains, et vous, marraines,
Ce soir, pour le baptême on part.
Des pralines et des étrennes
Je retiens la première part.
— Dieu ! quel grand cri se fait entendre ?
— « Battez tous des mains : c’est l’enfant
Que la mère orgueilleuse et tendre
Presse sur son sein triomphant !
Et maintenant qu’on chante et rie,
Les chagrins d’ici sont exclus.
La mère est libre... et la patrie
Compte un beau citoyen de plus!
LE FOSSOYEUR
Enfin, du repos voici l'heure.
Comme le cimetière est noir !
Dans les cyprès l'hiver gémit et pleure ;
La voix des morts m'épouvante ce soir.
Qu'un peu de vin à mes pensées
Sourie à travers tout ce deuil.
Pour réchauffer mes mains placées
Brûlons, brûlons ces débris de cercueil.
Deux vierges, mortes à l'aurore
De la jeunesse et de l'amour,
Dans ce cercueil que la flamme dévore,
Vinrent ici tomber le même jour.
De leur voile de fiancées
Le Irépas leur fit un linceuil.
Pour réchauffer mes mains glacées
Brûlons encor ces débris de cercueil.
Ces débris, noirs de moisissures.
Couvraient un académicien.
Le pauvre peuple, à ses œuvres obscures,
Faute d'esprit, dit-on, ne comprit rien.
Mais elles furent encensées
Par l'héritier de son fauteuil.
Pour réchauffer mes mains glacées
Brûlons encor ces débris de cercueil.
On descendit un millionnaire
Dans ce bois criblé par les vers.
Son char splendide a vu toute la terre.
Et ses vaisseaux ont vu toutes les mers.
De poussière quelques pincées
Ont enseveli tant d'orgueil !
Pour réchauffer mes mains glacées
Brûlons encor ces débris de cercueil.
Ceux-ci renfermaient un jeune homme
Qui déserta son humble sort,
Qui, des grandeurs poursuivant le fantôme,
Fut arrêté par celui de la mort !
Que d'ambitions insensées
Se brisent contre cet écueil !
Pour réchauffer mes mains glacées
Brûlons encor ces débris de cercueil.
Un juste y dormit. C'est sa bière.
Aimant chacun, de tous aimé.
Il fut longtemps un bienfait pour la terre
Où, fleurs du ciel, ses vertus ont germé.
Aussi, que de larmes versées
Lorsque son corps passa ce seuil !
Pour réchauffer mes mains glacées
Brûlons encor ces débris de cercueil .,
Oui, consumons la planche immonde
Où, cédant au dernier sommeil
Les parias et les grands de ce monde
Sont tous couchés sous un niveau pareil.
Là, plus de dignités blessées :
J'y fais à tous le même accueil.
Pour réchauffer mes mains glacées
Brûlons encor ces débris de cercueil.
Vous tous que le bonheur enivre,
Plaignez, mais ne repoussez pas
Le fossoyeur qui se condamne à vivre
Près des tombeaux, seul avec le trépas
De pages par la mort tracées
Sa vie est un sombre recueil.
Pour réchauffer mes mains glacées,
Brûlons, brûlons des débris de cercueil.
Mais quoi ! déjà l'aube m'appelle ?. . .
Oui, voilà bien le jour qui luit.
Allons, à moi, ma pioche, à moi, ma pelle.
Je dormirai doublement cette nuit.
Si je ne chassais ces pensées
Je ne fermerais jamais l'œil.
Pour réchauffer mes mains glacées
Brûlons toujours des débris de cercueil.
L'INSTITUTRICE
Septembre enfin me rend les champs et les vacances.
J'ai, dès hier, aux enfants distribué les prix.
Oh ! que les prés sont verts, que les cieux sont immenses !
Combien par le grand air tout mon être est surpris !
Onze mois de soucis, de fatigue et d'étude
Finissent, quelque fort qu'on soit, par vous briser.
Libre pour trente jours, je viens m'en reposer
Dans la paix et la solitude.
Dans les prés et dans les sillons,
Chantez, dansez, mes petits anges ;
A vous le babil des mésanges
Et les ailes des papillons.
Allez, vous que l'amour des mères me confie.
Vous avez, comme moi, besoin de liberté.
Laissez-moi retremper dans l'air qui fortifie,
Pour vous les consacrer, ma force et ma santé.
De rayons et de fruits la terre couronnée
Sourit aux blonds enfants, aux oiseaux voyageurs.
Allez tous prendre part, avec les vendangeurs,
A ce grand banquet de l'année !
Il nous faudra bientôt, de ce bonheur tout ivres.
Revenir vers ces bancs où mon front a pâli.
Reprendre les cahiers, les chiffres et les livres,
Alors qu'on vit si bien de soleil et d'oubli !
Pour que l'homme récolte, il faut qu'enfant il sème.
Dieu, de notre avenir, fait l'œuvre de nos mains
Et c'est par le travail qu'il impose aux humains
Qu'il veut qu'on le serve et qu'on l'aime.
Ah ! vous ne savez pas combien de patience.
Combien de dévoûment il faut pour vous gronder
Quand le jeu tue en vous l'amour de la science :
Saint amour qu'à tout prix je dois y féconder !
J'ai pleuré comme vous mon enfance asservie
A ce labeur ingrat ; mais Dieu bénit ces pleurs.
C'est par eux que, plus tard, nous cueillons quelques fleurs
Dans les durs sentiers de la vie.
Travaillez, pour marcher le front haut dans le monde
Devenez-y l'orgueil, l'appui de vos parents.
Dévoué tout entier au grand œuvre qu'il fonde.
Le monde, de son sein, proscrit les ignorants.
Mais chacune de vous y trouvera sa place,
L'une par son etalent, l'autre par sa beauté.
Prêchez-y le devoir, l'amour, la charité
Qu'on vous enseigne en cette classe.
Mais à notre bercail, mes folâtres gazelles.
Octobre va bientôt vous rappeler encor.
De fraîches jeunes sœurs y remplaceront celles
Dont l'âge, dans la vie, aura pressé l'essor.
Vous fêterez ces sœurs que l'hiver nous amène
Et dans ce nid heureux où je vous attendrai.
Si vous travaillez bien, enfants, je vous dirai
Le jeudi de chaque semaine :
Dans les prés et dans les sillons
Chantez, dansez, mes petits anges ;
A vous le babil des mésanges
Et les ailes des papillons.
LE CHIFFONNIER
Air : Lève toi, pauvre Jacques.
Et requiescat in pace
Chiffonnier, ton règne est passé
Contre le préfet de police
En vain je me suis rebiffé :
De son théâtre il m'a biffé
Et je rentre dans la coulisse.
Et requiescat in pace,
Chiffonnier, ton règne est passé.
Mon panier pend à la muraille,
Poudreux comme un matelassier,
Et mon luisant crochet d'acier
A disparu dans la ferraille.
Et requiescat in pace,
Chiffonnier, ton règne est passé.
Mon bon crochet, quelle fin vile
Pour toi, dont l'ongle de griffon
Dénichait le moindre chiffon
Entre les pavés de la ville !
Et requiescat in pace
Chiffonnier, ton règne est passé.
De combien de riches guenilles.
D'atours jadis éblouissants,
Au pied profane des passants
N'ai-je pas arraché les drilles ?
Et requiescat in pace,
Chiffonnier, ton règne est passé.
De combien d'amonreux messages.
De journaux et de testaments,
De poèmes et de romans
Mes chiffons ont fourni les pages ?
Et requiescat in pace,
Chiffonnier, ton règne est passé.
Parfois, en mon àme indignée,
Je pense, hélas ! que mon métier
Fournit lui-même le papier
Où sa sentence fut signée !
Et requiescat in pace,
Chiffonnier, ton règne est passé.
Maintenant, l'aube est froide et terne,
Comme mon grabat que voilà :
Les chiffonniers ne sont plus là
Pour l'égayer de leur lanterne.
Et requiescat in pace,
Chiffonnier, ton règne est passé.
Car, c'est une heure avant l'aurore
Que nous allions, des carrefours,
Fouiller ces sinistres détours
Que la police même ignore.
Et requiescat in pace,
Chiffonnier, ton règne est passé.
Tous les jours la hotte était pleine.
Mais, outre vieux fer et chiffons
Qui du métier formaient le fonds,
Nous avions toujours quelque aubaine
Et requiescat in pace,
Chiffonnier, ton règne est passé.
C'étaient des bijoux et des montres.
Sachets de soie aux fermoirs d'or,
Portefeuilles, bons du trésor,
Enfin, mille heureuses rencontres !
Et requiescat in pace.
Chiffonnier, ton règne est passé.
Pour nous, les perles de Fortune
Étaient vraiment dans le fumier.
Et j'en ai, pour le beau premier.
Dans la fange trouvé plus d'une.
Et requiescat in pace,
Chiffonnier, ton règne est passé.
Bon métier, fertile en trouvaille.
De ta gloire en vain tu déchois :
De tous ceux qu'on offre à mon choix
Il n'en est pas un qui te vaille !
Et requiescat in pace,
Chiffonnier ton règne est passé
CONTES & LÉGENDES DES MÉTIERS
CONTES & LÉGENDES DES MÉTIERS
Autrefois le peuple n’était guère charitable pour les gens des métiers ; ceux dont il pouvait le moins se passer, qui lui rendaient presque quotidiennement des services, et auxquels il devait donner souvent de l’argent, étaient de sa part l’objet d’imputations de toutes sortes. Exagérant les défauts ou les méfaits de quelques-uns, il faisait volontiers rejaillir sur la corporation entière des reproches qui n’étaient mérités que par un petit nombre.
Les meuniers, les tailleurs et les boulangers,
LE MEUNIER
une mauvaise réputation,...
" Le diable, après avoir examiné quel pouvait être de tous les métiers d’ici-bas celui qui rapportait le plus et celui où il était le plus facile, pour quelqu’un de peu scrupuleux, de faire fortune, ne tarda pas à être convaincu que c’était celui de meunier. Il établit sur la rivière un moulin tout en fer, dont les diverses pièces avaient été forgées dans les ateliers de l’enfer. Les meulants vinrent de tous côtés à la nouvelle usine, dont la vogue devint si grande, que tous les meuniers des environs, dont on avait du reste à se plaindre, furent réduits à un chômage complet. Quand le diable eut accaparé toute la clientèle, il traita si mal ses pratiques, que celles-ci crièrent plus que jamais misère. Saint Martin, qui passa par là, résolut de venir en aide à ces pauvres gens. On était en hiver, et il construisit, en amont de celui du diable, un moulin tout en glace. De toutes parts on y vint moudre, et chacun s’en retourna si content de la quantité et de la qualité de la farine qui lui avait été livrée par le nouveau meunier, que le diable se trouva à son tour sans pratiques. Alors il vint proposer à saint Martin d’échanger son moulin contre le sien. Le saint y consentit, mais il demanda en retour mille pistoles : c’était exactement le chiffre du gain illicite que le diable avait fait depuis qu’il était meunier. Pendant huit jours, celui-ci fut satisfait de son marché, mais alors il vint du dégel : les meules commencèrent à suer, et àu lieu de la farine sèche qu’elles donnaient auparavant, elles ne laissèrent plus échapper que de la pâte. "
La façon de tricher...
" Leur mauvaise réputation, assez justifiée autrefois, tenait surtout à ce que, au lieu de recevoir un salaire, ils exerçaient un prélèvement en nature sur les grains qui leur étaient confiés. Il en était résulté des abus que constatent, en termes très sévères pour les meuniers, plusieurs ordonnances qui avaient essayé d’y mettre fin : elles défendaient de prendre la mouture en grains, mais seulement en argent, à raison de douze deniers par setier, et recommandaient de rendre les farines en même poids que le blé, à deux livres près, pour le déchet. Au cas où celui qui faisait moudre aurait préféré ne pas payer en argent, le droit de mouture était fixé à un boisseau par setier. Les contraventions étaient punies par l’amende ou par le pilori. Ces pénalités, dont la dernière avait un caractère infamant, n’avaient pas complètement réussi à empêcher certains meuniers de « tirer d’un sac double mouture », comme dit un proverbe, qui doit probablement son origine à leur manière de procéder. « Chaque meunier a son setier », disait-on aussi en parlant de quelqu’un dont on avait besoin, et qui abusait de la situation. "
« Les meusniers, dit Tabourot, ont une mesme façon de parler que les cousturiers, appelant leur asne le grand Diable et leur sac Baison; et rapportant la farine à ceux ausquels elle appartient, si on leur demande s’ils n’en ont point pris plus qu’ils ne leur en faut, répondent : Le grand diable m’emporte si j’ay pris que par raison. Mais pour tout cela ils disent qu’ils ne dérobent rien, car on leur donne. »
Bricolage des meules
Plusieurs articles de coutumes locales constatent qu’à l’intérieur du moulin, des dispositions ingénieuses avaient pour but de favoriser un bénéfice illicite : au lieu d’environner les meules d’un cercle d’ais (*) en rond, certains meuniers lui.avaient donné une forme carrée, en sorte que la farine qui remplissait les quatre angles de ce carré, n’étant plus poussée par le mouvement de la meule, y restait en repos, et y demeurait contre les intérêts des particuliers dont ils faisaient moudre le blé. D’autres faisaient plusieurs ouvertures au cercle d’ais, par où la farine tombait en d’autres lieux que la huche où elle devait être reçue par le propriétaire du blé. Un article des coutumes avait ordonné aux seigneurs ou à leurs meuniers de renoncer à ces modes de construction frauduleuse. On comprend que ces pratiques aient valu aux meuniers d’autrefois une détestable réputation
(*) Ais : Planche
Dicton : " Quelle est la chose la plus hardie du monde ? C’est la chemise d’un meunier, parce qu’elle prend tous les jours au matin un larron à la gorge
Naguère on disait que : " Ce qu’il y a de plus infatigable, c’est la cravate d’un meunier, parce qu’elle peut sans se lasser tenir toujours un coquin à la gorge ". D’après les Fantaisies de Tabarin, " L’animal le plus hardi qui soit sur la terre, c’est l’âne des meuniers, parce qu’il est tous les jours au milieu des larrons, et toutefois il n’a aucune peur. "
Source : Archive.org - Légendes & Curiosités des Métiers - P Sébillot
LE BOULANGER
" Au moyen âge on disait que si l’on mettait ensemble trois personnes de métiers mal notés, la première qui en sortirait serait à coup sur un boulanger. Plus tard Rabelais blasonne aussi " les meuniers qui sont ordinairement larrons, et les boulangers qui ne valent guère mieux ".
" En 1577 Henri III arrête en son conseil un règlement très développé qui, entre autres prescriptions, ordonnait à tous les boulangers de tenir en leurs fenêtres, ouvroirs ou charrettes, des balances et poids légitimes afin que chaque acheteur pût peser par lui-même le pain ; il leur était en outre prescrit d’imprimer dessus, leurs marques particulières, afin de discerner les pains que feraient les uns et les autres pour en répondre. Au milieu du XVIIIe siècle, le Code de police ajoutait que les balances devaient être " suspendues à une hauteur suffisante pour que les bassins ne reçoivent point de la table des contre-coups ménagés au profit du vendeur, par une adresse frauduleuse "
En Provence le boulanger est surnommé plaisamment Brulo pano, Gasto farino
" A Rome, Vesta, en sa qualité de déesse du feu, était la patronne des boulangers ; son image, que nous reproduisons d’après le Magasin pittoresque, la représente assise et ayant à côté d’elle une sorte d’autel entouré d’épis de blé, sur lequel a été déposé un pain rond ; à la fête des Vestalies, le 8 juin, qui était celle des boulangers, on promenait dans les rues des ânes couronnés de fleurs et portant des colliers de petits pains. "
Source : Archive.org - Légendes & Curiosités des Métiers - P Sébillot
LE CORDONNIER
" En Provence, la première fois que les cordonniers célébrèrent la fête de saint Crépin, leur patron fut si content qu’il demanda au bon Dieu de laisser voir le Paradis aux plus braves des tire-ligneul.
Alors saint Crépin fît pendre depuis le Paradis jusqu’à terre une échelle de corde bien garnie de poix. Les meilleurs des cordonniers, par humilité chrétienne, restèrent au pied de l’échelle miraculeuse ; les plus orgueilleux l’escaladèrent, et Dieu sait s’il en monta !
Le jour où ils montèrent, on célébrait en Paradis, la fête de saint Pierre, et le bon Dieu lui dit de chanter la grand’messe. Saint Paul fut chargé, pendant ce temps, de garder la porte. Les cordonniers gravissaient l’échelle, et l’on sentit dans le Paradis une odeur de poix mêlée au parfum de l’encens. Tout alla bien jusqu’au moment où l’officiant chanta Sursum corda ! Saint Paul, qui avait l’oreille un peu dure depuis sa chute sur le chemin de Damas, crut que saint Pierre lui disait : Zou sus la cordo ! et il coupa la corde. Les cordonniers tombèrent : heureusement Dieu, qui est bon, ne voulut pas qu’ils fussent tués; mais ils furent pourtant tous un peu maltraités.
De là vient qu’il est si difficile aux cordonniers de faire leur salut.
C’est pour cela aussi qu’il y en a tant qui sont estropiés et bossus "
" Les cordonniers autrefois, en travaillant le soir à la lumière de la chandelle, se fatiguaient beaucoup les yeux, surtout dans certains travaux de leur profession qui exigent un bon éclairage, notamment dans la pose de la petite pièce de cuir que l’on place entre les deux parties de la semelle et que l’on appelle l’âme. Crépin était un compagnon cordonnier. Un soir que pendant son travail il avait près de lui une bouteille de verre au ventre rebondi remplie d’eau, il remarqua que la lumière de la chandelle passant au travers du liquide se concentrait en un seul point extrêmement lumineux. Il eut l’idée ingénieuse de mettre son travail sous ce point et dès lors put l’exécuter avec la même perfection qu’en plein jour. Ses compagnons l’imitèrent, et c’est à partir de ce moment que les cordonniers employèrent des bouteilles d’eau sphériques pour concentrer la lumière de leurs chandelles ou de leurs lampes. C’est en reconnaissance de ce service que les cordonniers demandèrent que Crépin fut canonisé et que ce saint est devenu le patron des cordonniers. "
Source : Archive.org - Légendes & Curiosités des Métiers - P Sébillot